Troquet, Bar, Café

Briançon, le 24 mars 2023
Pluie fine qui s’est doucement déclarée au début d’après-midi, n’a cessée depuis.
Après le portail rouge, c’est la porte des Alpes que nous avons franchi. Grenoble est derrière nous et nous commençons à peine à prendre des dénivelés assez sévères. C’est un bonheur que de prendre de la hauteur, voir loin, trouver du reliefs et admirer les montagnes au toupet enneigé. Cette semaine je commence doucement à prendre la mesure de ce qui nous arrive et avoir la sérieuse impression que ce ne sont plus des vacances sportives que nous vivons mais bien un voyage au long cours. On voit déjà les affaires qui s’usent autour de nous, les habitudes qui se créent et les lassitudes aussi. En ce qui concerne ces dernières, la météo est première responsable. Sujet trivial et pourtant déterminant dans n’importe quelle aventure en extérieur. Même si les affaires sont mouillées, la tente, les vélos, nos téléphones, nos carnets et nos vêtements, le plus dur c’est pour le mental. Notre humeur sera bonne ou renfrognée en fonction d’elle. Un rayon de soleil et on a l’impression de s’envoler, de sourire comme par réflexe.
Lorsque le camp est mouillé au matin, qu’il a plu toute la nuit, notre envie commune est de se sortir de là assez rapidement. On ébroue les toiles de tentes, on rassemble rapidement un petit dèj rapide qu’on avale vite puis on sacoche tout jusqu’à que le vélo reprenne une allure balourde. Notre premier objectif – toujours sur l’itinéraire prévu – est de passer par le premier troquet, bar, café que nous trouverons pour se réchauffer un coup et chercher l’énergie dans un bon café expresso (et un « all-on-jay » pour Dylan). Le temps maussade de ce mois de mars nous aura valu la découverte d’un bon nombre de ces établissements. Chacun étant tout à fait unique, du plus vide et tranquille (exemple : Le Liverpool de Bréval), au plus bruyant et serré (exemple : Le Rubis Bar de Fontainebleau). Le matin est intéressant en tant que début des choses pour tous les gens qui s’y rendent. On y trouve ceux qui passent sans s’asseoir, s’enfilent un café et s’en vont. On y trouve les habituées qui tutoient le chef d’établissement et se permettent des familiarités. On y trouve quelques vieux messieurs et dames solitaires qui sont venus pour l’animation, avec verre de blanc ou sans. On y trouve aussi ceux qui se sont donné rendez-vous et viennent parler affaire. Parfois aussi une télévision diffuse France 2 et son Télématin ou bien un plus classique BFM. Commentaires de l’auditoire souvent de mise.
Finalement ces lieux sont très sociaux, beaucoup de gens viennent pour le prétexte d’un café, pas pour le café en lui-même. Je me souviendrai du Café de l’Hôtel de Ville de Cours-la-Ville. Un très haut lieu de sociabilité. Peu de passage mais des interjections en tout sens entre le gérant (de mauvaise humeur d’après les commentaires de certains), deux hommes et une femme d’un certain âge, chacun assis à leur table et agencés aux quatre coins de l’établissement. Tout sujet abordé devenait matière à être détourné, critiqué ou plaisanté quasiment à tour de rôle entre ces camarades de comptoir. Chaque entrée et sortie de visiteurs (y compris nous) était un sujet en soi. J’ai eu du mal à écrire ma carte postale ce matin-là, riant intérieurement des plaisanteries pour éviter de prendre part et rester spectateur. Je n’ai pas pu résister de sourire au moment où la femme âgée, disant un peu tout ce qui lui passait par la tête a déclaré « est-ce qu’on a un enterrement aujourd’hui ? ». Parfois je me dis qu’il serait intéressant de passer une semaine à noter ce que les gens disent et font dans ce genre d’endroit. Un peu comme Georges Perec l’a fait avec la place Saint-Sulpice à Paris.
Même si sociaux, ces lieux sont parfois aussi désolants, surtout quand l’établissement est beaucoup plus mercantile. Comme ce Bar-Tabac de la Poste à la Frette près de Grenoble. Ce tout petit commerce (seulement deux tables de disponible) rassemblait en un seul endroit un bon nombre des vices les plus courants : choix considérable de cigarettes, tickets à gratter, loto en temps réel (les tirages se succèdent à l’écran), alcools sous toutes les formes, mais aussi station PMU et offres élargie de cigarettes électroniques. Nous étions là pour le café, achat anecdotique pour la plupart des passants. D’autres endroits sont tristes pour ce qui s’y dit plutôt que ce qui s’y vend. De grandes gueules partageant à des papys dodelinant leurs pensées racistes ou homophobes. Ce qui est certain, c’est qu’une bonne partie de l’âme de la France – bonne ou mauvaise – se trouve dans ces cafés et qu’il est toujours curieux de s’y réchauffer après une nuit à la fraîche.
A l’heure où j’écris ces lignes nous sommes à mi-parcours de notre échappée alpestre, le Lautaret est derrière nous, manque plus que Montgenèvre et l’épisode France s’achèvera. Pour Dylan c’est un nouveau chapitre, pour moi c’est le début de l’étranger. Sur ces premiers 1000 kilomètres tous mes repères tenaient bon, commerces, coutumes, signalétique routière et conversations. De l’autre côté de cette frontière naturelle, au delà du dernier col, nous rentrerons en Italie, un pays cousin et tout de même bien différent. Hâte d’y parvenir. Ci vediamo prossimo Italia !














