Faleminderit

Prizren, Kosovo, le samedi 13 mai
Temps plein d’humeur, un coup je veux, un coup je veux plus
Lors de notre premier mois de périple, nous avons croisé très peu de cyclotouristes. En France seulement deux occurrences : sur les bords de Loire un couple que nous avons seulement vu de loin partir dans l’autre direction, et en arrivant vers Grenoble une femme seule qui prenait son déjeuner à une aire de pique-nique et qui nous a exprimé par des soupirs prolongés son manque d’envie de discuter. Ce n’est qu’à partir de la Slovénie que tout s’est accéléré, les beaux jours d’avril aidant. De là nous avons croisé deux allemandes en route vers la Grèce (Laura et Alix), un couple de français remontant l’Italie depuis Naples, un autre français (Robin) débutant un voyage de trois ans tout autour du monde…
Maintenant que nous sommes en mai et que nous empruntons souvent des véloroutes internationales c’est presque tous les jours que nous rencontrons de nouveaux collègues. Parfois ils sont en pause alors nous les rejoignons pour un brin de causette, parfois nous les dépassons en discutant rapidement, parfois nous les croisons sans même nous arrêter mais en les saluant bien haut. Il est très amusant de voir que tout le monde fait du cyclo à sa sauce. Je vais tenter de vous donner un aperçu général de ce que l’on peut observer.
On trouve des étudiants en milieu ou fin de cursus, souvent beaucoup plus roots que les autres pour question de budget. Ce sont ceux que nous avons croisé le plus. Il y a les super-sportifs, sortes de machines-humaines capables d’enchaîner les kilomètres et les dénivelés sans broncher. Il faut jeter un oeil à leurs cuissaux, ça vaut le détour. A l’inverse on trouve les bons touristes qui sont vraiment là pour la balade et privilégient les pauses confortables et ne se privent pas d’un coup de pouce en train ou bus pour passer les zones désagréables ou moins intéressantes.
Tout le monde possède un équipement bien différent et c’est toujours un plaisir d’analyser un peu l’organisation de chacun. Il y a les plus brinquebalants constitués d’un patchwork de sacoches ou d’un système de portage plus rudimentaire comme d’une cagette encordée à un porte bagage (ça arrive souvent). On se demande toujours combien d’objets ils perdent par jour. À l’autre bout on trouve des systèmes ultra perfectionnés et éprouvés, presque spatiaux. Multitude de petites sacoches ayant chacun une fonction précise. Dans ces cas-là on sent l’amour de l’équipement (oui on peut parler d’amour) ou plus simplement un budget quasi-illimité. Mais que ce soit pour les équipements les plus robustes au plus « fait-maison », le profil du cycliste n’est pas déterminé, certains sont super-équipés pour faire des balades, d’autres ont un arrangement totalement improbable vis à vis du nombre effarant de kilomètres qu’ils parcourent chaque jour.
Et nous alors ? Je dirais qu’on se situe plutôt dans la case des bons touristes que dans celle des cyclo-sportifs. S’il nous arrive d’enchaîner les jours à fort dénivelés ou grande distance c’est sachant qu’un hébergement en dur nous attend pour quelques jours de repos. Par exemple sur les 70 jours de voyages que nous comptabilisons jusqu’ici, nous n’en avons roulé que 46, soit un jour chômé sur trois ! Certains pourraient se demander si on avance vraiment. Côté équipement, il est très correct, la chance d’avoir pu travailler quelques années pour pouvoir s’offrir de bons outils. Pour les plus intéressés un lien vers la liste non-exhaustive de mon équipement. Pareil niveau hébergement et nourriture, on n’hésite pas à compenser les jours de pluie par des abris au sec. Certains collègues refusent de faire appel à airbnb ou autre booking et cherchent un maximum le bivouac ou des logements gratuits dans les réseaux de cyclos.
Alors avec ce train pas d’enfer du tout et des nuits pas toujours à la fraîche, sommes-nous toujours des aventuriers ? Probablement pas, ou alors juste des aventuriers qui se font plaiz assez souvent.
Il y a déjà une semaine nous passions la frontière de l’Albanie un samedi soir. Nuit au bord du fleuve Buna qui sépare les deux pays. Arrivant d’un Monténégro en pleine prise de vitesse touristique déjà proche du développement de la Croatie, nous avons trouvé une vraie différence à notre réveil dans le monde albanais. Nous abordons le pays par la campagne, très vivante et animée. Les routes sont beaucoup plus fréquentées par des personnes à pied, à vélo ou sur charrette à cheval. La vitesse moyenne des voitures qui nous dépassent est donc beaucoup plus agréable, ils ont l’habitude de faire attention.
Cela change d’un dimanche matin classique, tout le monde est au travail, dans les champs, dans les garages. On s’arrête pour un premier café que nous ne paierons pas, comme la plupart des cafés que nous prendrons dans le pays. Les locaux d’amusent de nous voir passer par là, ils nous invitent et discutent avec nous. La différence de développement est impressionnante au premier abord : beaucoup moins de moyens, beaucoup plus de rafistole et de matériel d’un autre âge. L’Albanie est dans le top des pays ayant le salaire moyen le plus bas d’Europe. N’ayant jamais été dans cette région, j’ai subitement rapproché ce niveau de développement à ce que j’avais pu découvrir au Maroc ou au Cambodge, même si l’Albanie est tout de même plus développée. Ce qui m’a fait penser à ça c’est l’authenticité de tout ce qui nous entoure. Il n’y a pas une station service ou un garage qui ressemble à un autre, tout paraît fait main et personnalisé. Encore loin est la standardisation. Notamment avec les maisons qui sont rarement « terminées », une sur deux est à briques rouges apparentes ou n’a pas de balustrades aux balcons. On dit que c’est pour éviter une taxe, ça donne surtout un cachet de pays pauvre alors que l’intérieur des maisons est tout à fait moderne.
Depuis notre passage dans ce nouveau monde, la langue et l’orthographe a aussi changé, on doit s’adapter à notre nouveau lexique. Le même hvala que nous employons depuis la Slovénie pour dire « merci » est remplacé par faleminderit. L’albanais est un peu plus sport.
Très vite nous arrivons sur les rives d’un très grand lac artificiel, le lac Komani. Nous le traversons à bord d’un ferry fabriqué maison : les sièges sont ceux d’un autobus et le plancher métallique bombé se plie sous nos pas. Au delà du lac, nous faisons incursion dans la pluvieuse vallée de la Valbona. Repos, nous sommes épuisés par les beaux reliefs de la région. Le dénivelé n’a pas d’égal pour épuiser un cycliste.
Déjà arrivés au Kosovo, nous découvrons non pas un nouveau pays mais une autre région de l’Albanie. L’inversion des drapeaux à la frontière (celui du Kosovo siégeait en Albanie et vice versa) aurait dû nous donner la puce à l’oreille. Même langue, même ambiance et encore plus d’aigles noirs sur bannières rouge, l’emblème albanais.
Je ne suis jamais allé en Turquie mais j’ai l’impression qu’on la ressent déjà, par la religion musulmane qui est visible par le nombre de mosquées plus important qu’avant et par la nourriture, les petits pots d’ayran apparaissent (sorte de yaourt liquide) mais aussi les cafés qui proposent des baklavas et gâteau aux trois laits (Trileçe). Dylan fait de son mieux pour faire diversion lorsque je croise le regard d’une pastiçeri (café-pâtisserie).
Après la très charmante ville de Prizren nous irons en Macédoine du Nord pour retrouver le club Europe du collège Alain Chartier qui devrait bientôt débarquer à Opae, petite ville proche de la capitale. Nous repartirons ensuite sur les véloroutes des balkans, toujours attentifs aux deux-roues que nous croiserons, peut-être de nouveaux collègues à l’horizon ?
A+
P.S. : Si vous vous demandez combien de temps a tenu la réparation de fortune du pneu de Dylan (voir le dernier épisode), la réponse est : trois jours. Une chambre à air toute fraîche vient de prendre place dans son pneu, l’opération était quelque peu immonde car le liquide collant du système tubeless a voulu se répandre partout. Un conseil pour ceux qui aimeraient rejoindre l’équipe tubeless : choisissez des bons pneus avant de vous lancer. Bisous
















